Cadre de l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), Tharcisse Loseke Nembalemba, neurologue, revient de la République Démocratique du Congo (RDC) où il séjourne périodiquement en sa qualité d’enseignant à l’Université de Kinshasa. Il a vécu la «journée ville morte» du 16 février 2016 et livre ses impressions sur la situation générale du pays. Interview.
Vous revenez de Kinshasa où vous avez vécu la «Journée ville morte» du 16 février. «Un échec cinglant», a déclaré André Atundu Liongo, porte-parole du secrétariat général de la majorité présidentielle. «Un succès», clame l’opposition. Qui dit vrai? Qui ment?
Je peux vous dire, en toute objectivité, que la journée ville morte a été une grande réussite. Les Kinois ont vécu une situation inhabituelle. A 8 heures du matin, on pouvait compter, par les doigts d’une main, le nombre des véhicules qui circulaient sur le très fréquenté boulevard du 30 juin. Des situations analogues ont été constatées dans certains grands carrefours de la capitale. C’est le cas au niveau de Kintambo magasin, du Rond-Point Ngaba et de l’Echangeur de Limete. C’était le désert…
Qu’avez-vous constaté au plan social dans la capitale?
La situation est tout simplement catastrophique dans une ville qui abrite pas moins de 10 millions d’âmes. Certaines communes n’ont pas vu couler une goutte d’eau depuis six mois. Il en est de même de l’électricité. En ce qui concerne l’habitat, il y a des maisons qui sont menacées par les inondations et les éboulements. Inutile de parler du renchérissement du coût de la vie. La capitale ressemble à une poudrière qui n’attend qu’une étincelle pour s’embraser. Les gouvernants en place sont indifférents de la misère de la population.
Comment expliquez-vous le silence de «Joseph Kabila» pendant et après cette «journée»?
Des «mauvaises langues» rapportent que Joseph Kabila aurait fait le tour de la ville aux premières heures de la matinée. Il voulait sans doute constater de ses propres yeux l’effectivité de la Journée ville morte. Des Kinois disent avoir aperçu un cortège composé de plusieurs véhicules aux vitres teintées notamment dans les communes de Bandalungwa, Kasa-Vubu, Kinshasa et Barumbu. Le convoi a poursuivi son «inspection» sur le boulevard du 30 juin.
Vous êtes cadre de l’UDPS. Les observateurs ont noté une certaine cacophonie au plan de la communication. Le secrétaire général Bruno Mavungu avait déclaré que l’UDPS n’était pas «partie prenante» à la journée ville morte. Le président Etienne Tshisekedi, lui, a appuyé le mouvement. Ces positions contradictoires qui sont loin d’être les premières du genre ne font-elles pas «désordre»?
D’aucuns ont dit que cela faisait effectivement désordre. On ne pourrait s’empêcher de déplorer la déclaration malheureuse et imprudente de notre secrétaire général. Fort heureusement, le président Etienne Tshisekedi a remis les pendules à l’heure. On semble oublier que plusieurs militants de l’UDPS figurent parmi les victimes du 16 février 1992.
Que répondez-vous à l’Abbé José Mpundu – un des organisateurs de la manifestation du 16 février 1992 – qui a regretté la «récupération» de la journée du 16 février par le personnel politique?
La journée du 16 février concerne tous les Congolais. Toutes tendances politiques et philosophiques confondues. Il n’y a pas que les chrétiens qui ont été victimes de la répression. N’oublions pas que certains protestataires étaient membres des partis politiques. En fait, nous avons commémoré les victimes de la barbarie de l’époque.
Des observateurs notent une montée en puissance de l’intolérance politique s’illustrant par un durcissement du pouvoir. Au Katanga, des personnalités ont été empêchées de jouir de leur droit constitutionnel d’aller et de venir sur le territoire national. C’est le cas notamment de Charles Mwando Nsimba et l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi Chapwe. A Kinshasa, il y a eu l’arrestation du député national Martin Fayulu. Sans omettre la condamnation à deux ans ferme des militants de la «Lutte pour le changement» (Lucha) dont le combat se limite à exiger le respect de la Constitution et l’alternance. Un «dialogue politique national inclusif» est-il encore possible voire nécessaire dans une ambiance aussi détestable?
J’observe effectivement un durcissement du pouvoir. C’est une analyse partagée par d’autres observateurs. Le pouvoir en place parait décidé à museler ses contempteurs. Personne n’est à l’abri de cette dérive dictatoriale. Je reste néanmoins d’avis que seule une implication ferme et résolue de la communauté internationale pourrait faciliter la tenue du dialogue. Le constat est là : Monsieur Kabila et sa majorité se trouvent dans une impasse totale. Kabila a fait semblant de convoquer un dialogue, selon lui, inclusif. Force est de constater qu’il n’arrive pas à le mettre en route. Sans la présence de l’UDPS, il n’y aura pas de dialogue.
Quelle est votre sentiment suite à l’invitation adressée, par le Bureau de la CENI, à la plateforme «Front du peuple» allié à Etienne Tshisekedi que dirige Jean-Pierre Lisanga Bonganga?
Je ne dispose pas des éléments sur cette entrevue. En revanche, je peux vous dire qu’à l’UDPS nous n’accordons plus foi à la CENI. Monsieur Corneille Nangaa est là pour accomplir une «mission» qui consiste à organiser le «glissement». Il a invité des alliés de l’UDPS juste pour faire croire qu’il était à l’écoute de tous les acteurs. En ce qui nous concerne, nous n’avons plus confiance en cette Commission électorale nationale indépendante.
Que va-t-il se passer, selon vous, en cas de non-tenue du «dialogue»?
Comme je l’ai dit précédemment, l’organisation du dialogue dépend de l’implication de la communauté internationale. L’UDPS s’inscrit dans cette logique. Dans le cas où le dialogue se révélait impossible, nous allons évoluer avec Joseph Kabila jusqu’au 19 décembre prochain et lui montrer la porte de sortie…
Projetons-nous vers la date du 19 décembre 2016. Que va-t-il se passer si l’élection présidentielle n’était pas organisée à cette période?
La première démarche sera de signifier à Joseph Kabila qu’il ne jouit plus de légitimité pour se prévaloir du titre de chef de l’Etat. L’adhésion du peuple est la clef de voûte de la légitimité. Dès le 20 décembre 2016, le chef de l’Etat actuellement en exercice ne jouit plus du pouvoir de commander. De même, la population ne sera plus tenue au devoir d’obéissance. Nous allons mener cette campagne de manière intense. Et ce jusqu’à son départ effectif de la tête de l’Etat. Nous savons que Monsieur Kabila va faire de la résistance en recourant à la force ainsi qu’à la brutalité. Le peuple congolais est bien préparé moralement. Je dirai même physiquement…
S’il vous était donné d’avoir «Joseph Kabila» en face de vous, qu’allez-vous lui dire?
Je lui dirais que son mandat prendra fin le 19 décembre 2016. Il doit faire un pas de côté.
Comment se porte le président Etienne Tshisekedi?
Il va de mieux en mieux. Il est impatient de rentrer au pays en perspective du prochain congrès du parti.
Propos recueillis par
Baudouin Amba Wetshi