A sept de la tenue des élections présidentielle et législatives, s’il faut s’en tenir au calendrier publié le 5 novembre 2017 par la Commission Election Nationale Indépendante (CENCO), d’aucuns se demandent si celles-ci auront effectivement lieu. L’un des principaux acteurs politiques en RDC, l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito, s’interroge : « Et si Kabila n’organisait pas les élections le 23 décembre 2018 ? »
Dans cette énième tribune – la 18ème du genre – il rappelle qu’en février 2017, il affirmait la caducité des Accords issus de deux dialogues, celui de la Cité de l’Union Africain (UA) et celui du Centre Interdiocésain dit de la CENCO. Pour sortir de l’impasse, Adolphe Muzito proposait, dans sa 15ème tribune, un autre dialogue entre les parties qui avaient négocié l’Accord du 31 décembre 2016.
Après avoir relevé toutes les contraintes qui ont bloqué la bonne application dudit accord, l’élu de la ville de Kikwit (province du Kwilu), se pose une question : Quelle est la meilleure hypothèse pour sortir la RDC de cette situation ? Pour l’ancien Premier ministre, quatre hypothèses sont envisageables.
La première est celle qui consiste à aller aux élections du 23 décembre 2018 avec le Président Kabila et son camp, comme seuls maîtres à bord ; la deuxième est celle qui consisterait d’aller aux élections après 2018, avec l’Opposition sans Kabila et son camp, comme seul maître à bord ; la troisième est celle d’un troisième dialogue consensuel entre les deux camps pour des élections apaisées ; et la quatrième est celle d’un troisième larron. Ci-dessous, le texte intégral de la 18ème tribune d’Adolphe Muzito.
CN
18ème TRIBUNE
RDC : Et si Kabila n’organisait pas les élections le 23 décembre 2018 ?
I. RETROSPECTIVE
En février 2017 déjà, nous avions affirmé la caducité des accords issus de deux dialogues, celui de la Cité de l’Union Africain (UA) et celui du Centre Interdiocésain dit de la CENCO. Pour sortir de l’impasse, nous constations dans notre 15ème tribune que les parties au dialogue de la CENCO devraient se retrouver.
1.1. Difficile mise en application de l’Accord de la CENCO
Des contraintes évidentes empêchaient l’application du nouvel accord du point de vue politique notamment. Cette situation démontrait que les élections projetées fin décembre 2017 ne pouvaient pas se tenir dans le délai d’autant plus qu’il manquait un consensus sur :
– La mise à jour du fichier électoral ;
– Le calendrier électoral ;
– La sécurisation et le financement des élections.
D’autres préalables aussi importants n’étaient pas réalisés. Les contraintes majeures se présentaient de la manière suivante :
1) Les difficultés liées à la mobilisation de 750 millions $US en 6 mois de mars à août 2017 dont 200 millions $US pour parachever l’opération d’enrôlement et 550 millions $ US pour les opérations des trois élections proprement dites ;
2) Les limites du budget 2017, légué au pays par le Gouvernement Matata et que s’apprêtait à défendre le Gouvernement Badibanga au courant du second trimestre 2017. En effet dans ce budget, la ligne de crédit pour les élections ne prévoyait que 250 millions de $US ;
3) Le déficit structurel du Plan de Trésorerie de l’Etat, la faiblesse des avoirs extérieurs nets ainsi que le tarissement des réserves de change étaient criants.
Ainsi fin 2017, l’Accord de la CENCO n’a pas été appliqué et les élections n’ont pas eu lieu, sans que personne ne s’en soit ému.
1.2. Le scénario de la révision de l’Accord de la CENCO
Sur le plan politique, nous proposions deux choix alternatifs afin de sortir de l’impasse entre autres la révision de l’Accord de la CENCO pour avancer.
Dans le premier choix, nous proposions aux parties prenantes de s’arrêter et de faire marche arrière pour prendre le temps de réviser l’Accord de la CENCO dans le cadre d’un 3ème round du dialogue. Elles devaient prendre en charge les évolutions et les nouvelles contraintes en vue de donner audit accord la chance d’être applicable, une fois pour toute, en évitant tout glissement ultérieur.
Dans le cadre de ce scénario, les parties prenantes auraient dû prendre conscience que l’Accord de la CENCO était caduc et inapplicable en l’état dans le délai imparti. Les parties devaient lever l’option de sa révisitation, non pas pour modifier les acquis ou les équilibres du moment, mais pour prendre en compte des contraintes ci-haut relevées.
Cette révision de l’Accord de le CENCO devait établir une échéance réaliste en tenant compte de différentes contraintes et elle aurait offert ainsi la possibilité de revoir la séquence des élections. Nous n’avons pas été suivis.
1.3. Le scénario du glissement « programmé » de décembre 2017
Ce second choix maintenait l’Accord de la CENCO en l’état, en continuant à travailler au parachèvement de l’Arrangement particulier jusqu’à la mise en place des institutions à 5 voire 3 mois de la fin de l’année 2017.
Ce qui n’avait pas été fait. Et pourtant personne ne croyait voir les élections se tenir en 2017. Celles-ci n’ont pas été tenues. Ce qui était grave, ce n’était pas la non organisation en décembre 2017 des élections et donc l’échec de l’application de l’Accord, mais plutôt le fait que les parties à l’Accord n’avaient nullement pris acte de l’échec et tiré les leçons. Du temps perdu. Aujourd’hui la même question se pose pour décembre 2018.
1.4. Vers un 3ème RDV manqué
Et si le Président Kabila n’organisait pas les élections le 23 décembre 2018 ? Qui sera responsable ? Quelle sera la sanction ? Qui va l’appliquer ? Le CNSA ? Le SADC ? L’UA ? L’ONU ? Contre quelle institution ? Selon quelles prérogatives ?
Fin 2016, la date pourtant constitutionnelle n’a pas été respectée, fin 2017, la date fixée par l’Accord de CENCO ne l’a pas été non plus. N’en sera-t-il pas le cas pour la date du 23 décembre 2018 ?
Que faire ? Le pays est devant quatre hypothèses alternatives :
– La première est celle qui consiste à aller aux élections du 23 décembre 2018 avec le Président Kabila et son camp, comme seuls maîtres à bord ;
– La deuxième est celle qui consisterait d’aller aux élections après 2018, avec l’Opposition sans Kabila et son camp, comme seul maître à bord ;
– La troisième est celle d’un troisième dialogue consensuel entre les deux camps pour des élections apaisées ;
– La quatrième est celle d’un troisième larron.
II. QUELLE EST LA MEILLEURE HYPOTHESE POUR LE PAYS ?
2.1. Une transition avec Kabila comme seul maitre à bord
Avec cette première hypothèse, si l’Accord de la CENCO n’est pas revisité et évalué, les choses restent en l’état. Kabila seul, avec son camp et l’Opposition qu’il s’est choisie, seraient à la manœuvre, une bonne partie de l’Opposition (la vraie) serait dehors. On n’aurait rien résolu et la crise s’amplifierait, sans la moindre garantie que les élections seraient organisées en fin 2018 et le pays se retrouverait devant un fait accompli à la fin du délai. Ou encore que les élections seraient organisées mais que les résultats ne seraient pas acceptés par l’Opposition qui n’a cessé de dénoncer l’utilisation de la machine à voter, l’exclusion de l’UDPS à la direction de la CENI et de rejeter le fichier électoral. Elle pourrait aussi renoncer d’y participer faute des ressources pour les lourdes cautions et les frais de campagne électorale.
2.2. Une transition avec l’Opposition sans Kabila sur fonds d’un putsch ou d’un soulèvement populaire
La deuxième hypothèse ou alternative, celle d’exclure Kabila du processus, est difficile à réussir pour les mêmes raisons. Elle impliquerait l’exécution d’un putsch de la part des opposants ou la Société civile qui ne semblent pas être engagés sur cette voie contre le régime de Kabila.
Les partisans de Kabila seraient ainsi exclus du processus. La Transition impliquerait un régime spécial qui établirait un acte constitutionnel de transition, après le putsch.
Nous avons dit dans notre 9ième tribune du 18 janvier 2016 que toute tentative pour un camp politique d’exclure un autre du dialogue ou de la gestion de la transition exaspérerait la crise politique.
2.3. Une transition inclusive
Ici, on pourrait imaginer que seule une transition inclusive et dans le cadre d’un Gouvernement d’union nationale investi pour un programme de la Transition resterait une issue. Dans ce cas, la gestion du Gouvernement serait accordée à l’Opposition, dans le respect de l’esprit et de la lettre de l’Accord de la CENCO. Ainsi, le Premier Ministre issu de celle-ci serait proposé par la coalition (Opposition et Majorité) au Président de la République pour nomination.
Les réponses à toutes les questions concernant le contrôle des opérations (fichier électoral, machine à voter, les doublons, les finances, etc.) de la CENI par exemple, trouveraient leurs réponses dans la mise en place de ce Gouvernement d’Union nationale consensuel de la Transition.
Pour parvenir à ce scénario, c’est dès maintenant qu’il faut agiter la sonnette d’alarme pour un dialogue ouvert impliquant la Communauté internationale. Demain, c’est-à-dire attendre décembre 2018, serait trop tard et le risque d’un troisième larron resterait probable.
2.4. Une transition avec un 3ème larron
L’histoire politique du Congo-Kinshasa nous enseigne que de telles crises ont appelé à chaque fois un 3ème larron, une force autre que celles initialement engagées dans le conflit, dicter sa loi.
Les cas de Lumumba et Kasa-Vubu (MNC-ABAKO) en 1960-61, de Tshombe et Kasa-Vubu (CONACO-ABAKO) en 1965, de Mobutu-Tshisekedi (FPC-USORAL) en 1997 et celle de Mzee Laurent-Désiré Kabila contre son opposition (politique et armée) en 2001, nous en disent long.
Car, là où le langage politique a échoué, celui du feu a toujours pris la direction des débats. Cette leçon de l’histoire politique congolaise devra nous inspirer tous.
III. UNE DOUBLE TRANSITION POUR TOUT CHANGEMENT DE CONSTITUTION
Quant à la révision de la Constitution ou le remplacement de celle-ci par une nouvelle pendant la Transition, l’opération exige le mandat du peuple. Présentement personne ne détient ce mandat. A moins de faire un putsch aux institutions actuelles et de solliciter par élections ce mandat au peuple, soit pour réviser la Constitution de 2006 ou pour élaborer une nouvelle. Ma tribune « Deux dialogues deux transitions » en parle en long et en large.
En effet, dans ce cas, le pays aurait besoin de deux transitions successives.
La première, pour organiser les élections en vue de mettre en place une assemblée constituante ayant pour mission de rédiger et d’adopter une constitution définitive, l’actuelle étant défigurée et liquidée par les deux arrêts de la Cour Constitutionnelle l’ayant concernée.
Une seconde transition, pour organiser le référendum constitutionnel et les élections post référendum. Au courant de cette double transition, un plan d’aide internationale, à adopter par les acteurs au cours du dialogue, s’imposerait au pays, pour faire face à la double crise économique et sociale, qui risquerait de faire imploser le pays.
Fait à Kinshasa, le 30 avril 2018
Adolphe MUZITO
Premier Ministre honoraire et
Député national