Le Président du Sénat prend ses distances avec le candidat de la Majorité à la présidentielle du 23 décembre 2018. Pourtant signataire de la charte du Front Commun pour le Congo, Léon Kengo ne se sent pas pour autant obligé de soutenir Emmanuel Shadary. Il l’a affirmé ce mardi sur RFI.
« J’ai signé pour donner à cette charte une crédibilité », a d’abord déclaré l’ancien Premier ministre de Mobutu, interrogé sur son choix d’adhérer à cette nouvelle plateforme présidentielle.
Dans ces conditions, Kengo s’oppose à toute idée d’instaurer à nouveau de parti État en RDC. « Nous devons laisser les candidats libres, des partis libres, et que le meilleur gagne »
Interpellé pour savoir si cette position signifiait qu’il ne soutiendrait pas Emmanuel Shadary, le dauphin de Joseph Kabila. Réponse du Président du Sénat : « Cette charte ne veut pas dire qu’on doit soutenir obligatoirement Shadary », a-t-il martelé avant d’ajouter, d’un ton ferme, « je suis libre ».
S’il n’est pas prêt à voter Shadary, Léon Kengo Wa Dondo pourrait aller voir ailleurs. « J’attends que la Commission électorale présente la liste des candidats à l’élection présidentielle, je ferai mon choix », a promis Léon Kengo, qui ne cache pas son admiration pour l’ancien vice-président Jean Pierre Bemba.
Voici l’intégralité de l’interview du président Kengo du sénat sur RFI
Il est le deuxième personnage de l’Etat congolais après le président Joseph Kabila et s’exprime très rarement dans les médias. Léon Kengo Wa Dondo sort de son silence à quatre mois de la présidentielle dans une interview exclusive accordée à RFI. Par trois fois Premier ministre de Mobutu, depuis 2007, il est président du Sénat et membre du Front commun pour le Congo (FCC) formé autour du président Kabila. Il s’exprime sur l’organisation des élections, le choix d’Emmanuel Ramazani comme dauphin et plaide pour la participation de tous aux élections.
RFI : Avez-vous été surpris par la décision de Joseph Kabila de renoncer à un troisième mandat ?
Léon Kengo Wa Dondo : Non, c’est prévu dans la Constitution. Il n’a fait que respecter la Constitution.
Etiez-vous au courant de ce choix ?
Pas personnellement, il ne me l’a pas dit, mais c’était de l’entendement commun.
Pourquoi le président Kabila a-t-il renoncé, selon vous ? Est-ce la pression populaire, la pression de l’opposition, ou bien des pressions internationales ?
Non. Je ne peux pas entrer dans ces considérations. Le président Kabila est le seul qui a observé la Constitution. Il faut plutôt rendre hommage.
Emmanuel Ramazani Shadary, dont on dit qu’il n’a pas de base électorale, a-t-il l’étoffe pour l’emporter selon vous ?
Je ne me suis pas appesanti sur son profil. Il ne vient pas orphelin à cette élection, il a un père, Joseph Kabila, qui l’a présenté, qui va le soutenir.
Pour vous, il n’y a aucun doute sur le fait qu’il sera élu ?
L’élection, c’est un nom devant son peuple. Même si le président l’a désigné, ça peut ne pas aller.
D’autres disent qu’il a fait un choix à la Medvedev-Poutine. Est-ce la raison du choix d’Emmanuel Ramazani Shadary ?
C’est peut-être l’une des raisons, mais elle n’est pas nécessaire et suffisante.
Est-ce un scénario que vous envisagez ?
C’est un scénario crédible. Le président est le garant de la Constitution. Il a respecté cette Constitution, personne ne peut émettre de critiques. Analysons tout : il fait passer Ramazani, Ramazani peut être élu une fois, lui peut revenir. Moi, je crois qu’il a bien joué. S’il revient après, il peut rester autant qu’il veut.
Que pensez-vous de la situation de Moïse Katumbi qui, sous la menace d’une arrestation, n’a pas pu se présenter à la présidence ?
On doit faire en sorte que tous ceux qui veulent se présenter se présentent. Je suis pour que Moïse Katumbi rentre et se présente. Et il n’est pas dit, parce qu’il se présente, qu’il sera élu. On doit donner à tout le monde les mêmes cartes de manière à ce qu’on ne critique pas qu’on a exclu l’un ou l’autre. L’exclure c’est avoir peur qu’il se présente et qu’il puisse être élu. Il vaut mieux qu’il se présente. S’il n’est pas élu, il baissera ses prétentions. Et s’il est élu, c’est très bien, il est le fils du pays.
Pourtant, Moïse Katumbi a été condamné à trois ans de prison. Les autorités considèrent que c’est un fugitif, même si lui conteste la légalité de la procédure contre lui.
Oui, mais maintenant nous sommes au début des élections. Mon souhait le plus clair, c’est que tout le monde se présente. Et comme il a été condamné, qu’il demande au président de pouvoir l’amnistier. La seule possibilité qu’il ait, c’est de bénéficier de l’amnistie, comme ce que l’on poursuit sont des faits politiques.
Dans la course, il y a également Jean-Pierre Bemba. Avez-vous été surpris par son acquittement ?
Non, j’ai été heureux parce que Jean-Pierre Bemba, de par son père, Jeannot Bemba, est un peu mon fils. Je considère que c’est bien qu’il puisse entrer dans cette lutte électorale. Il a le profil que je considère comme apte à se présenter à l’élection présidentielle. Mais s’il y a dans la loi électorale quelques handicaps quelconques, j’opte pour la loi.
Vous êtes un homme de droit. Est-ce qu’à vos yeux, sa candidature est valide au regard de la loi électorale ?
Il est condamné pour subornation de témoins. Si les faits principaux pour lesquels il a été poursuivi sont considérés comme non établis, la subornation de témoins est une infraction auxiliaire.
Vous considérez que dans la mesure où l’affaire principale tombe, la condamnation pour subornation de témoin doit tomber.
C’est ça. Je ne suis pas juge de faits, mais je considère que l’on aurait dû l’acquitter aussi.
La candidature unique de l’opposition, est-ce que vous y croyez ?
Moi, je crois. Si l’opposition veut sortir gagnante, ils doivent se mettre tous ensemble. S’ils ne le font pas, je doute qu’il gagne.
Pour le moment, les négociations sont difficiles.
Oui, je sais que les négociations sont difficiles parce que chacun veut être candidat, mais si tout le monde se met ensemble, je suis sûr qu’il y aura, cette fois-ci, une alternative.
Est-ce un scénario d’affrontement est-ouest qui se dessine, comme en 2006 ?
C’est un affrontement éternel. Tant qu’il aura l’est et l’ouest, ceux de l’ouest, aujourd’hui disent : « Kabila a fait son mandat, il faut que cette fois-ci, il y ait quelqu’un de l’ouest ». C’est équitable, non ?
Finalement, vous qui avez toujours tenu à garder votre statut d’indépendant, vous avez signé la charte du Front commun pour le Congo [FCC, la nouvelle plateforme électorale initiée par le président Joseph Kabila]. Qu’est-ce qui fait que vous avez sauté le pas ?
Pour donner à cette charte une crédibilité.
Est-ce qu’un nouveau parti-Etat est ce qu’il faut, selon vous, à la RDC ?
Il ne faut plus refaire ça. Nous avons connu tous les torts d’un parti-Etat, nous devons laisser les candidats libres, des partis libres, de pouvoir se présenter librement et le meilleur gagne.
Qui allez-vous soutenir ? Emmanuel Ramazani Shadary ?
J’attends que la Commission électorale [Céni] présente la liste des candidats à l’élection présidentielle. Je ferai mon choix. Je l’ai fait déjà une fois.
En 2006, vous aviez soutenu Jean-Pierre Bemba. Le ferez-vous à nouveau si sa candidature est validée ?
Je le dirai en temps voulu.
Cela signifie que vous n’êtes pas du tout certain de soutenir d’Emmanuel Ramazani Shadary bien que signataire de la charte.
Mais cette charte ne veut pas dire que l’on doit soutenir obligatoirement Shadary. On a aussi le droit de regard. Je suis libre.
Est-ce que le retrait du président Joseph Kabila suffit, selon vous, à écarter le risque d’une déstabilisation du pays à l’occasion du processus électoral ?
Si Ramazani est élu, il n’est pas dit qu’il pourra achever son mandat. J’espère qu’il pourra achever son mandat, mais je dis qu’aujourd’hui, au point de vue politique, la RDC est calme, nous souhaitons de tous nos vœux que cela se poursuive.
Pourtant, l’opposition conteste notamment l’utilisation de la machine à voter. Seriez-vous favorable à un audit de cette machine pour apaiser les esprits ?
Mais je crois que si les opérateurs politiques considèrent que cette machine n’est pas fiable, il faut soumettre ça à l’expertise.
La Céni [Commission électorale] s’y oppose pour le moment ?
La Céni a ses raisons et les politiques ont les leurs.
Etes-vous donc favorable à un audit ?
Bien sûr. Je ne critique pas la machine parce que je ne connais pas la fiabilité de cette machine, mais si tout le monde dit qu’elle risque de désorienter les électeurs et bien il faut suivre.
Autre point noir dans le paysage du processus électoral, le fichier que l’OIF [Organisation internationale de la Francophonie] juge perfectible avec notamment six millions d’électeurs enregistrés sans empreintes donc potentiellement fictifs. Cela vous inquiète-t-il ?
Oui, cela m’inquiète pour la simple raison qu’au début d’une élection, il faut que tout le monde se mette d’accord sur les paramètres, de manière à ce qu’il n’y ait pas de critiques. Trop de critiques tuent l’élection.
Jusqu’à présent la RDC a refusé toutes les propositions d’appui logistique à l’organisation du scrutin au nom de sa souveraineté. Mais beaucoup d’observateurs doutent de la capacité de Kinshasa à financer ces élections. Pensez-vous que Kabila devrait accepter cette aide extérieure ?
Joseph Kabila a dit clairement, devant le corps constitué, « nous ne voulons pas de financement extérieur, nous même nous nous suffisons ». Je suppose qu’un président de la République ne peut pas dire ça, urbi et orbi, sans qu’il ait pris toutes les dispositions nécessaires pour que les élections se déroulent dans la transparence.
D’autres estiment que cela pourrait être in fine un argument utilisé pour un nouveau report du scrutin.
Si cela s’avère exact, ce serait très grave pour le président. Non, il faut que les élections se tiennent le 23 décembre et la parole du président doit rester crédible.
Pensez-vous que pour les condamnés à mort de 2003, qui ont été condamnés suite à l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, l’heure du pardon et de la grâce est venue aujourd’hui ?
Oui, je crois.
Ce sont des innocents qui sont en prison ?
Ça, je ne sais pas le dire mais s’ils ont commis un crime politique, ce crime politique doit bénéficier de l’amnistie.
Vous avez déjà porté ce message à Joseph Kabila ?
Nous en avons parlé quelques fois.
Qu’est-ce qu’il vous a répondu ?
Mais à ce moment-là, il n’était pas prêt, mais aujourd’hui, je crois, l’eau a coulé sous les ponts, il doit être prêt. Il pourrait faire bénéficier soit de la grâce, soit de l’amnistie.