Accéder à la magistrature suprême et savoir la quitter devient un exercice rarissime en Afrique centrale. Pire, cette situation se généralise dans la majorité des pays africains. Joseph Kabila, 44 ans, dont le mandat expire cette année va-t-il faire exception ? Décryptage.
Parmi les chefs d’Etat africains qui devaient quitter le pouvoir au terme de leur second mandat, seul le Tanzanien Jakaya Kikwete a réussi l’exercice. Au Burundi, après avoir obtenu son troisième mandat, Pierre Nkurunziza fonce, malgré des tensions populaires. D’ailleurs, les fréquentations internationales qui étaient presque interrompues, reprennent de plus belle. Fin février, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon a effectué une visite à Bujumbura sans trop épingler l’épineux problème burundais. Au Rwanda, Paul Kagame n’a pas rencontré de résistance pour placer son nouveau mandat au frais, le temps de finir celui qui est en cours. Il a même obtenu de son peuple une potentielle longévité au pouvoir allant jusqu’en 2034. D’après des résultats du référendum sur la réforme constitutionnelle, les Rwandais ont voté «oui» à 98,9 %. Ce qui garantit, sauf un coup de théâtre, au président Kagame un bonus de 18 ans au pouvoir, en dehors de ses 16 années passées à la tête du pays des mille collines. A un jet de pierre de Kinshasa, Denis Sassou Nguesso, 73 ans, va compétiter, le 20 mars, avec le général Michel Mokoko pour son troisième mandat, sinon, son énième. Après avoir réussi à changer carrément de Constitution, plus rien n’empêche à « Papa De Nguess » de rempiler au poste de président de la République du Congo. Sa démarche de pérennité au pouvoir n’a pas souffert d’assez de constations, contrairement à « l’évangéliste » Nkurunziza. Le fils d’Oyo a même reçu la bénédiction de François Hollande qui lui a reconnu « le droit de consulter son peuple » pour obtenir un troisième mandat. Cela, au grand dam de la défunte Constitution du Congo-Brazzaville.
Chez le voisin le plus proche de Sasou Nguesso, se trouve un autre président, Joseph Kabila. Lui aussi, préoccupé par la problématique de la fin du mandat. Après avoir tenté, sans succès, d’insérer dans la loi électorale une incise qui allait conditionner l’organisation des élections présidentielle et législatives à la tenue préalable d’un recensement général de la population, Joseph Kabila n’a pas toujours dit son dernier mot. A Kinshasa, l’analyse qui revient le plus sur les lèvres des Congolais, c’est celle d’une prolongation du mandat du chef de l’Etat qui s’obtiendrait au terme d’un processus électoral délibérément suffoqué. Reste à savoir si l’avenir donnera raison à cette hypothèse.
Alternance, une exception ?
En dehors de la région des Grands lacs, le spectre de « pouvoir pour la vie » hante la majorité des chefs d’Etat, même les moins mal intentionnés au départ de leur mandat. Le Sénégalais Macky Sall, tombeur d’Abdoulaye Wade qui voulait, ipso facto, obtenir un troisième mandat, semble perdre l’élan démocratique manifesté avant son élection. L’on se souvient de la promesse de celui-ci sur la réduction du délai de mandat du chef de l’Etat. Sall avait concrètement promis de supprimer le septennat instauré par Wade, au profit d’un quinquennat. Curieusement, quelques mois après son élection, sa détermination faiblit. Les Sénégalais qui l’ont accompagné dans cette démarche se retrouvent heurtés contre la décision de la Cour constitutionnelle qui a refusé de réduire le délai du mandat. Ces derniers ne croient pas à l’issue d’un référendum que l’ancien Premier ministre de Wade convoque sur cette question. Du coup, certains Sénégalais l’accusent du rétropédalage.
Le film de ces chefs d’Etat ne s’arrête pas là. Tous ceux qui rêvaient d’alternance en Gambie ont simplement déchanté. Car, Yahya Jammeh, après 21 ans de pouvoir, n’en est pas encore rassasié. L’homme vient de se faire investir candidat pour la présidentielle du 1er décembre 2016, à l’issue d’un congrès de son parti, l’Alliance pour la réorientation et la construction patriotique (APRC). Voici son prétexte : « nous sommes en démocratie et ils (Occidentaux) parlent de limitation de mandats. N’importe quel chef d’Etat occidental ou autre dirigeant d’Etat qui viendra parler de limitation de mandats en Gambie verra ce que je lui dirai », a déclaré le président Jammeh avant d’ajoute que « pendant mille ans, nous avons été assujettis à l’idéologie occidentale qui nous a ramenés en arrière ». Jammeh a donc prévenu. Il n’y aura ni alternance ni limitation du nombre de mandats présidentiels tant qu’il sera aux commandes en Gambie.
La démocratie ? C’est donc pour les autres. Le maître de Banjul est convaincu d’être sur la bonne voie. Et il ne tolèrera aucune ingérence dans les affaires intérieures de son pays qu’il se dit déterminé à « servir et à donner aux habitants les standards de vie parmi les plus élevés dans le monde ». Bienvenue donc au royaume de Jammeh 1er qui, aux côtés de son homologue togolais, s’était déjà ouvertement opposé à tout projet de limitation de mandats présidentiels dans l’espace CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Une façon de concevoir le pouvoir diamétralement opposée à celle du très charismatique tanzanien, Jakaya Kikwete : « Dieu ne peut pas permettre que je sois président pour y mourir, car s’il avait voulu que je sois roi, Dieu allait vouloir que je puisse naitre dans une famille royale. Dieu ne fait pas des choses à moitié. La présidence n’est pas une royauté car dès que vous y rentrez, vous devez vous dire que demain, vous devez y sortir. Quand on dure à la présidence on finit par tomber dans une mauvaise gouvernance car, vous serez une poise pour l’histoire du pays ».
Aujourd’hui, le nom de Jakaya Kikwete circule en Afrique comme un exemple édifiant. Les images de sa vie après la présidence fascinent plus d’un Africain. Mais pendant ce temps, Denis Sassou Nguesso, Yoweri Kaguta Museveni, Paul Kagamé, Paul Biya et Yayha Jammeh qui, après des décennies de règne, refusent de s’imaginer toute vie en dehors du pouvoir.
Ainsi va la gouvernance politique en Afrique. Pendant que les uns s’efforcent de tirer la démocratie vers le haut, d’autres la ramènent vers le bas, quand ils ne l’assassinent pas tout simplement.
Kas.