Pour l’élu de Kikwit, «un troisième larron risquerait de surgir de nulle part sans projet et sans vision pour neutraliser tout le monde et tout remettre à zéro ». Il s’était tu pendant quelques semaines et d’aucuns avaient cru qu’il n’avait plus à rien à dire. Au contraire, il était en train de bien analyser l’Accord du 31 décembre 2016, issu des discussions directes entre le Rassemblement et la Majorité Présidentielle. Il, c’est Adophe Muzito, l’ancien Premier ministre et député élu de la ville de Kikwit, dans la province du Kwilu. Face aux difficultés auxquelles semblent entre butées les deux parties pour la mise en œuvre dudit Accord, Adolphe Muzito, dans sa 15ème Tribune, s’interroge si la classe politique ne se dirige pas vers un 3ème Dialogue.
« Dans le contexte actuel, je peux affirmer que les deux accords politiques issus de deux Dialogues politiques, respectivement de la Cité de l’UA et du Centre Interdiocésain (CENCO), sont aujourd’hui caducs ? », souligne l’élu de Kikwit.
Dans la foulée, Adolphe Muzito fait remarquer que « si le premier Accord a connu un début d’exécution, par la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, ses dispositions essentielles ont été abrogées et remplacées par celles du second accord qui à leur tour semblent aujourd’hui dépassées, avant même d’avoir connu un début d’exécution».
Pour l’ancien Premier ministre « la République Démocratique du Congo se retrouve ainsi avec un Gouvernement sans Accord à côté d’un Accord sans Gouvernement». « A force de voir la classe politique dans une polémique incessante pendant que les crises économique, financière et sociale grandissent, le troisième larron risquerait de surgir de nulle part sans projet et sans vision pour neutraliser tout le monde et tout remettre à zéro», conclut Adolphe Muzito.
CN
RDC : vers un 3ème Dialogue ?
I. PROBLEMATIQUE
Dans le contexte actuel, je peux affirmer que les deux accords politiques issus de deux Dialogues politiques, respectivement de la Cité de l’UA et du Centre Interdiocésain (CENCO), sont aujourd’hui caducs ?
En effet, si le premier accord a connu un début d’exécution, par la mise en place d’un gouvernement «d’union nationale», ses dispositions essentielles ont été abrogées et remplacées par celles du second accord qui à leur tour semblent aujourd’hui dépassées, avant même d’avoir connu un début d’exécution.
La RDC se retrouve ainsi avec un Gouvernement sans «Accord» à côté d’un «Accord» sans Gouvernement.
Sans nul doute, l’engagement du premier Accord d’organiser les élections dans un délai de 18 mois, soit avril 2018 a été annulé et le délai réduit à douze mois, soit de Janvier à Décembre 2017, alors que la séquence de trois élections a été maintenue et cela, sans considérations des contraintes financières et politiques.
Le Comité de suivi institué par le premier Accord n’a pas été mis en place. Le concept a été modifié et remplacé dans le nouvel Accord par un autre «le Conseil National de Suivi de l’Accord (CNSA)» dont la mise en place dépend de l’Arrangement particulier qui divise encore la classe politique.
Nous sommes à la fin de Février 2017, soit à 10 mois de l’échéance de Décembre 2017. Les parties prenantes au Dialogue politique de la CENCO ne se mettent toujours pas d’accord pour finaliser l’Arrangement particulier et commencer à mettre en place les institutions définies par l’Accord politique. La loi devant régir le CNSA n’est ni rédigée ni débattue, moins encore votée ou promulguée.
Le délai de finalisation de l’Arrangement particulier s’allonge, tandis que le temps pour appliquer l’Accord devient de plus en plus court par rapport à l’échéance des élections qui s’approche.
Dans l’entretemps, le déficit du Plan de Trésorerie de l’Etat handicape le parachèvement des opérations d’enrôlement des électeurs et bouche l’horizon pour celles de trois (3) élections proprement dites.
La question est la suivante : faut-il continuer à maintenir un Accord que le Gouvernement dont la mise en place traine, ne saura nullement appliquer dans le délai lui imparti, faute d’argent ou plutôt s’engager à le revisiter pour prendre en compte les nouvelles évolutions et les contraintes qui se manifestent ? Chaque choix a ses exigences pour les deux parties en présence.
II. Engagements de l’Accord politique de la CENCO et leurs difficultés d’application
2.1. Des engagements de l’Accord de la CENCO
Dans l’Accord de la CENCO, les parties prenantes ont maintenu telle quelle, la séquence de trois élections : la présidentielle, les législatives nationales et provinciales.
Cependant, elles ont réduit de 18 à 12 mois le délai de la transition, soit de Janvier à Décembre 2017. Les coûts des opérations d’enrôlement des électeurs et des élections proprement dites présentés par la CENI approchaient le 1,3 milliards de $US.
L’Accord a été signé le 31 décembre 2016, date de son entrée en vigueur. Celui-ci prévoyait un arrangement particulier qui devait sous-tendre la mise en place du Gouvernement et du CNSA.
2.2. Des difficultés d’application des engagements contenus dans l’Accord de la CENCO
Difficultés des finances et de calendrier
Il est vrai que le montant du coût des élections indiqué ci-haut était reparti en trois années, de la manière ci-après :
– Fichier électoral (2016-2017) : ± 400 millions
– Elections présidentielle, législatives nationales et provinciales en 2017 : ± 550 millions
– Elections locales et municipales en 2018 : ± 350 millions.
– Le scrutin indirect : ± 27 millions
La CENI rappelle que pour le fichier électoral, plus de la moitié des sommes dues avait déjà été décaissée et qu’elle est en train de réussir l’enrôlement sur près de la moitié du territoire. Le un tiers, soit 15 millions sur 45 millions de majeurs, est déjà enrôlé. Elle fixe la fin des opérations d’enrôlement en Juillet 2017.
Aujourd’hui, le défi à relever pour le Gouvernement d’ici fin 2017, c’est plutôt de mobiliser 750 millions $US dont environ 200 millions pour parachever le fichier électoral et 550 millions $US pour les 3 élections proprement dites.
Comment se présentent les difficultés financières ?
Les contraintes financières face à la double échéance de Juillet et de Décembre 2017 et à la séquence des élections se manifestent à 3 niveaux :
1) Les difficultés liées à la mobilisation de 750 millions $US en 6 mois de Mars à Août 2017 dont 200 millions $US pour parachever l’opération d’enrôlement et 550 millions $ US pour les opérations des trois élections proprement dites ;
2) Les limites du budget 2017, légué au pays par le Gouvernement Matata et que s’apprête à défendre le Gouvernement Badibanga au courant du second trimestre 2017, sont restrictives. En effet dans ce budget, la ligne de crédit pour les élections ne prévoit que 250 millions de $US ;
3) Le déficit structurel du Plan de Trésorerie de l’Etat, la faiblesse des avoirs extérieurs nets ainsi que le tarissement des réserves de change sont criants.
L’augmentation du crédit des élections dans le Collectif budgétaire 2017
Même si le Parlement venait à augmenter le crédit des élections dans le Collectif budgétaire du 1er semestre 2017, le Gouvernement ne saura cependant pas mobiliser et décaisser les 750 millions en six mois pour rattraper les échéances du dernier semestre 2016 pour les opérations d’enrôlement et couvrir celles des votes proprement dits en Décembre 2017.
L’apport de la MONUSCO et des partenaires
Bien que l’appui logistique de la MONUSCO soit disponible, l’aide des partenaires extérieurs de la RDC qui n’interviendrait qu’après publication du calendrier électoral, sera insuffisante et surtout tardive par rapport aux deux échéances ci-haut indiquées.
Les appuis budgétaires et la balance extérieure
Les tenants du régime ayant dit non à tout programme avec les partenaires de Bretton Woods dont ils redoutent l’exigence des reformes, il ne reste au pays que le recours au financement monétaire pour couvrir le coût des élections dans un intervalle de 6 mois, mais aussi les dépenses de souveraineté.
La planche à billet et les dépenses de consommation de l’Etat
Si le Ministre d’Etat en charge du Budget a affirmé la semaine dernière que le Gouvernement était incapable de mobiliser les ressources nécessaires pour les élections, dans le temps lui imparti, il n’ignorait pas la possibilité pour lui de recourir à la planche à billet. La vérité, c’est que son Gouvernement n’en veut pas, compte tenu de ses effets sur le social de la population.
Pour preuve, le Gouvernement Badibanga a réussi à équilibrer les comptes du Trésor avec un solde positif de 5 milliards de FC fin Janvier 2017 en s’imposant une cure d’austérité de 100 milliards de FC. Dans l’entretemps, il a fait face à un déficit calamiteux de près de 500 milliards de FC lui légué par le précédent Gouvernement à fin 2016.
Quant aux contraintes politiques
Elles concernent le temps que va prendre la finalisation des arrangements particuliers dont dépend la mise en place des Institutions de la Transition. Le ping-pong entre la Majorité et le Rassemblement prendra encore du temps pour la mise en place de ces institutions.
A ce jour, on peut constater que les prérogatives du CNSA, comme organe de suivi et de contrôle de l’action gouvernementale, ne sont pas définies, les matières sur lesquelles vont porter son pouvoir de suivi et de contrôle ainsi que leurs termes de référence ne sont pas spécifiés par rapport à celles du Parlement. Qui dit contrôle dit sanction ! Quels sont les pouvoirs de sanction du CNSA sur le Gouvernement et la CENI? Quelles sont les garde-fous contre le chevauchement éventuel entre le CNSA et le Parlement ?
La nomination du Gouvernement pose encore problème, il en est de même de la mise en place de la coalition dont dépend la nomination du Premier Ministre et l’accompagnement du Gouvernement. Il se pose encore le problème de la séquence des élections par rapport aux contraintes financières et celui de la date de démarrage de la Transition. L’Opposition est divisée dans la gestion des ambitions.
III. Choix alternatifs
Deux scenarii se présentent aujourd’hui aux négociateurs de la CENCO :
3.1. Premier scénario : 3ème round du Dialogue pour une révision de l’Accord de la CENCO
Le premier choix consisterait pour les parties prenantes à s’arrêter et faire marche arrière pour prendre le temps de réviser l’Accord de la CENCO dans le cadre d’un 3ème round du dialogue. Ils prendraient en charge les évolutions et les nouvelles contraintes en vue de donner audit accord la chance d’être applicable, une fois pour toute, en évitant un glissement ultérieur.
Dans le cadre de ce scénario, les parties prenantes prennent conscience que l’Accord de la CENCO est caduc et inapplicable en l’état dans le délai imparti. Elles lèvent l’option de sa révisitation, non pas pour modifier les acquis ou les équilibres actuels, mais pour prendre en compte des contraintes ci-haut relevées.
Les atouts et faiblesses du 1er scénario
Les atouts du 1er scénario
– Il évite à la population et à la classe politique un deuxième glissement programmé ;
– Il établit une échéance réaliste en tenant compte de différentes contraintes ;
– Il offre la possibilité de revoir la séquence des élections ;
– Il établit une vision commune qui sera traduite en programme afin de trouver les moyens nécessaires pour les élections ;
– Il conduit à un consensus mais aussi un modus vivendi pour la cogestion apaisée entre la Majorité et l’ancienne Opposition, à travers le Gouvernement et le Comité de suivi.
– Les faiblesses du 1er scénario
– Il porte le risque d’un autre dérapage et de changement des équilibres établis ;
– Il discrédite les parties prenantes à court terme.
3.2. Deuxième scénario : Glissement programmé pour après décembre 2017
Le second choix consisterait plutôt à maintenir l’Accord de la CENCO en l’état, en continuant de travailler au parachèvement de l’Arrangement particulier jusqu’à la mise en place des institutions à 5 voire 3 mois de la fin de l’année 2017.
L’option consisterait à attendre cette échéance de décembre 2017 pour constater la non-tenue des élections, mettant ainsi le peuple devant un fait accompli avec un glissement programmé ou postposé.
Les parties prenantes devant l’impossibilité d’organiser les élections en Décembre 2017 pourraient actionner le dialogue prévu dans l’Accord de la CENCO, entre le CNSA, le Gouvernement et la CENI. Ce dialogue ne pourrait avoir lieu que si dans l’entretemps le Gouvernement et le CNSA avaient été installés.
Cette option, dans l’hypothèse où, le CNSA et le Gouvernement n’auront pas été mis en place dans l’entre-temps comporterait deux risques majeurs :
⦁ 1er risque : blocage du dialogue par l’une ou l’autre partie prenante
Face au retard dans la finalisation de l’Arrangement particulier dont les deux parties s’imputent la responsabilité, à la division et à la fragilisation qui menacent actuellement l’Opposition ainsi que le discrédit qui pourrait la frapper, chacune des parties pour se prémunir serait tentée de prendre des dispositions qui risqueraient de compromettre la suite du dialogue de la CENCO.
En ce qui concerne l’Opposition/Rassemblement, elle serait amenée de battre le rappel des troupes et retrouver l’unité de son noyau dur et prendrait la résolution à suspendre sa participation au Dialogue de la CENCO paralysant ainsi la suite.
En ce qui concerne le camp de la Majorité (le camp présidentiel), il serait tenté de renoncer au Dialogue de la CENCO et de lever l’option d’organiser une consultation populaire avec toutes les conséquences qu’on pourrait imaginer.
⦁ 2ème risque : le putsch ou le soulèvement populaire (3ème Larron)
Ce deuxième risque n’est pour moi pas souhaitable et j’en ai parlé dans ma 12ème Tribune.
En effet, face à la crise économico-financière et ses effets sur le social, aux foyers de tension dans plusieurs provinces du pays, la mésentente de la classe politique qui crée un retard dans le parachèvement du processus électoral, le pays s’expose à un risque insurrectionnel. Ce soulèvement populaire pourrait être récupéré par un 3ème Larron, sans programme ni vision politique, qui pour gérer le pays, serait obligé d’organiser un énième dialogue.
IV. CONCLUSION
La question n’est plus de savoir si le 3ème dialogue aura lieu ou pas. Elle est plutôt de savoir, puisque celui-ci aura lieu à quel moment avec quels acteurs et sur quel objet.
La première possibilité, c’est celle qui consiste pour les parties prenantes au Centre Interdiocésain de prendre acte :
– de deux mois de retard pris dans l’exécution de l’Accord de la CENCO pour installer les institutions : Gouvernement et CNSA ;
– de l’impossibilité de mobiliser 750 millions dans 5 ou 6 mois pour organiser les 3 séquences des élections en décembre 2017.
Ils décideraient ainsi de revisiter l’Accord de la CENCO sur les points ci-après :
– les séquences des élections passeraient de 3 à 2 voire à 1 scrutin à organiser pour décembre 2017 ;
– le maintien de trois séquences mais en remettant à avril 2018 leur organisation.
La deuxième possibilité qui semble plus probable, c’est celle qui consistera à renégocier pour prolonger l’échéance de l’organisation des élections après avoir fait le constat de l’échec, tout près de la date fatidique. Cette hypothèse n’est possible que si dans l’entre-temps, le CNSA et le Gouvernement sont installés.
Faute de l’installation du CNSA et du Gouvernement avant décembre 2017, nous courons deux risques majeurs :
– le blocage du dialogue politique par l’une ou l’autre partie prenante ;
– le soulèvement populaire ou le putsch.
Le blocage du dialogue politique pourrait venir de l’Opposition/Rassemblement ou de la Majorité/Camp présidentiel.
D’un côté, l’Opposition/Rassemblement pour se prémunir, de la colère populaire pourrait décider de se retirer du dialogue politique de la CENCO.
De l’autre côté, la Majorité (Camp présidentiel) pourrait, fort du constat de l’échec du processus appeler à une consultation populaire.
Une telle option ne pourrait être tentée et réussir qu’en fonction du degré de légitimité du camp présidentiel et donc de sa capacité à obtenir l’adhésion du peuple à ses propositions. Le peuple va-t-il l’écouter ou le renvoyer à rediscuter avec la classe politique.
Le deuxième risque, comme indiqué dans ma 12ème Tribune, celui que nous redoutons le plus et que nous ne souhaitons pas est celui d’une révolution populaire ou d’un putsch dénommé généralement le troisième larron.
A force de voir la classe politique dans une polémique incessante pendant que les crises économique, financière et sociale grandissent, le troisième larron risquerait de surgir de nulle part sans projet et sans vision pour neutraliser tout le monde et tout remettre à zéro.
Kinshasa, le23 février 2017
Adolphe MUZITO
Premier Ministre honoraire et Député national